Et si Paris nous révélait enfin tous ses secrets ? Nous montrait tous ses visages ? Nous disait à quel point ses habitants sont combatifs ? Comment, en tant que ville mouvante, agitée, motivée, il peut se revêtir de plus de couleurs fleuries ? À trop y vivre, on pourrait se dire qu’il y a bien autre chose à lire – plutôt des histoires qui nous permettraient de nous évader… Mais ce serait croire qu’on a tout vu de Paris. Voilà cinq livres étonnants qui peignent un Paris plus grand que le nôtre et élargissent nos contemplations personnelles.
Cocaïne, de Pitigrilli
Le jeune Tito Arnaudi quitte l’Italie sur un coup de tête pour Paris. Il loge dans un petit hôtel de Montmartre et se fait journaliste. On lui demande un article sur la cocaïne, la « coco », et ceux qui la consomment. Tito visite les arrières-salles des cafés et pour être au plus près du sujet, se sent bien malin de se « cocaïner lui-même ». Le reportage est salué ; Tito se fait embaucher à l’Irréfutable, déménage à l’hotêl Napoléon et devient l’amant de la belle et riche arménienne Kalantan connue du tout Paris pour ses « orgies blanches ». Que la vie commence ! Mais Tito est de ceux que les sentiments conçument autant que la drogue. Et tout désinvolte, jaloux, torturé qu’il est, finit par ne plus voir dans la vie qu’un ennui.
Le récit évidemment ne l’est pas. Plutôt intelligent, sans gène, savoureux de provocation, amusant. Publié en 1921, le moderne Cocaïne ne plut pas à tout le monde et catalogua Pitigrilli, à tord. (Il faut lire la postface d’Umberco Eco pour mieux comprendre.) Il voulait être honnête et aimait les idées, ainsi nous parle-t-il de travail, des femmes, de religion, de la vie dessinant son propre tableau de la comédie humaine sur fond d’influence parisienne. Et le Paris de ces pages d’ailleurs est bien celui de ceux qui y vivent : nocturne, insaisissable, excentrique, lumineux mais pesant aussi, lassant parfois. Mais toujours ville qui inspira les meilleurs romans. La preuve !
Editions Séguier, traduction Robert Lattes, 2018, 352 p., 21€
Paris Secret, de Michel Dansel
Michel Dansel voue à Paris un amour « déchaîné » et infini. Arpenteur fasciné, sensible à tous les visages de la ville, séduit par sa respiration, archéologue de toutes ses anecdotes, il décortique dans son dernier livre chaque arrondissement. Car « Paris réclame toujours des regards complices » et n’attend qu’une chose : qu’on révèle tous ses secrets. Il nous éclaire sur les origines de certains bâtiments, jardins, musées, ressuscite les lieux et les personnalités d’un Paris passé mais non révolu si l’on veut bien lui prêter attention. Adresses mystérieuses et histoires savoureuses : connaissez-vous le canular de l’écrivain Roland Dorgelès monté à la terrasse du Lapin agile ? Les étranges attitudes sensuelles à l’œuvre au cimetière du Père-Lachaise ? Le récit du « club le plus extravagant » de Paris ouvert en mai 1968 avenue Bosquet ?
Michel Dansel rassemble ici par un style lumineux et bien choisi, un condensé de détails comme on n’en trouve pas ailleurs. D’une section à l’autre, on traverse les époques et les espaces, notre curiosité y est bien nourrie. Oui c’est passionnant, et la conclusion poétique. Chacun évidemment a de cette ville un ressenti personnel, son propre Paris secret, cafés, rues, bâtiments qui nous ont vu grandir, vivre… Des souvenirs à faire battre nos cœurs.
Robert Laffont, Bouquins, 2017, 1056 p., 30€
Le flâneur des deux rives, de Guillaume Apollinaire
Une nouvelle édition corrigée et enrichie du petit recueil du grand poète français, édité en 1919, cinq mois après sa mort. Cette flânerie, une série de courts écrits, débute à Auteuil pour se terminer rue Laffitte dans le 9e arrondissement parisien. Apollinaire évoque les habitants des rues qu’il aimait, les librairies, confie ses rencontres avec des hommes simples, son premier imprimeur, et convoque les figures de poètes et artistes savoureux. Comme Maurice Cremnitz, Michel Pons, Ernest La Jeunesse…
Autant de souvenirs d’avant-guerre décrits avec finesse et naturel qui disent ce que les générations nouvelles ont oublié : un Paris personnel où le nom des rues s’associe à des visages. C’est un luxe vraiment de pouvoir s’offrir pareil compagnon de balade, de voir précisément là où Apollinaire s’arrêta et respira. Cela engage à ouvrir l’oeil et à ne pas oublier de faire notre tour le long des quais : « n’est-ce point la plus délicieuse promenade qui se puisse faire à Paris ? Ce n’est pas trop long, lorsqu’on a le temps, de consacrer un après-midi à aller de la gare d’Orsay au pont Saint-Michel. Et sans doute n’est-il pas de plus belle promenade au monde, ni de plus agréable. »
Editions de l’éclat, 1994, 128 p., 7€
Jardiner autrement à Paris, d’Emmanuelle Vibert
Amateur d’adresses, de projets nouveaux, de promenades parisiennes, si vous ne connaissez pas encore Parigramme, vous avez de quoi occuper votre été ! La petite maison d’édition amoureuse de la capitale nous offre, parmi ces derniers-nés, le guide très enthousiasmant d’Emmanuelle Vibert qui nous engage : « reverdissez Paris ! ».
Découpé en six parties, Jardiner autrement se propose de nous faire connaître 100 lieux, connus ou secrets, qui feront voir la ville en vert. Là où l’on propose ateliers et rencontres les mains dans la terre, visites instructives pour penser permaculture, compost, biodiversité. Là encore, où l’on peut acheter plantes, jeunes pousses, outils, légumes et miels d’Île-de-France. S’égrainent les espaces de jardinage libre, les jardins et potagers sur les toits, les balades fleuries. On oublie trop que Paris peut être un grand et beau paysage verdoyant si chacun partage l’envie de végétaliser la ville. « Je peux pas j’ai piscine »… non ! Maintenant, « j’ai jardinage ».
Parigramme, 2018, 128 p., 9,90€
Fluctuat Nec Mergitur, d’Alexandre Demaille
« Il est battu par les flots mais ne sombre pas ». La devise de la capitale. Il fallait bien ce petit condensé d’Histoire pour rappeler toute sa force et toute son essence. Alexandre Demaille résume pour nous l’histoire de Paris, de – 52 avant J.-C. à nos jours, et enserre son propos autour d’une idée. Fluctuat Nec Mergitur est « une attitude de courage et de résistance, qui coule fièrement dans les veines des habitants de Paris ».
Depuis toujours, nous vivons au gré des accalmies et des attaques. Ville des mobilisations populaires, des emportements, des désaccords, qui en a vu beaucoup mourir… À croire qu’elle s’est abreuvée du sang de ses enfants pour se maintenir en vie. Mais qui en verra bien d’autres respirer.
Rythmé, le récit retrace dans notre esprit une chronologie précise, évoquant Geneviève, Hugues Capet, Etienne Marcel, les rois qui se sont succédés, les envahisseurs toujours repoussés… Il s’en est passé des choses ici ! La lecture se fait passionnante et nous pousse à nous montrer sans peur. Sans doute qu’il manque quelques détails, interprétations personnelles qui aideraient à comprendre pourquoi diable les Parisiens arrivent toujours à tenir bon. Mais peut-être que cela se passe d’explications, peut-être, comme veut nous en convaincre Alexandre Demaille, que c’est simplement en nous.
VA Editions, 2018, 176 p., 14€