Cela quatre mois qu’il nous a quittés. Charles Aznavour n’était pas simplement l’un des rois de la chanson française, il était un prince de la ville : icône du grand Paris, il en a dépeint les multiples facettes, des music halls aux longs boulevards, entre spleen et flamboyance. Focus sur les lieux qui vous feront revivre le Paris du grand Charles.
Le Quartier latin
Hier encore, j’avais vingt ans. C’est dans le Quartier latin que Shahnourh Varinag Aznavourian, alias Charles Aznavour, passe son enfance. Son jeune âge, il le vit au sein d’un appartement de la rue Monsieur-le-Prince, dans le quartier de l’Odéon – une rue bien connue pour avoir abrité Arthur Rimbaud et Blaise Pascal. Du côté de la rue de la Huchette, son père Mischa tient un petit restaurant baptisé Le Caucase, à deux pas de la cathédrale Notre-Dame et du boulevard Saint-Michel. Se voyant déjà en haut de l’affiche, l’artiste franco-arménien fera ses premiers pas au théâtre du Petit Monde, dans le onzième arrondissement, avant de s’aventurer au Théâtre des Champs-Élysées, place to be pour les artistes du music hall.
L’Alhambra
« A dix huit ans / j’ai quitté ma province / Bien décidé à empoigner la vie / Le cœur léger et le bagage mince / J’étais certain de conquérir Paris« . C’est sur l’estrade de l’Alhambra que le musicien trentenaire clame avec panache J’me voyais déjà, cravate nouée et costume chic sur les épaules. Nous sommes le 12 décembre 1960 et cette performance est considérée comme la mise en branle du phénomène Aznavour. L’ovation qu’il reçoit ce soir-là confère à cette chanson à demi ironique une aura prophétique. Sa consécration par le public participe à l’histoire mythique de ce théâtre qui a vu défiler sur ses planches vedettes comiques, génies du jazz et autres icônes, d’Edith Piaf à Henri Salvador, de Jacques Brel à Johnny Hallyday.
Montmartre
« Je vous parle d’un temps / Que les moins de vingt ans / Ne peuvent pas connaître / Montmartre en ce temps-là / Accrochait ses lilas / Jusque sous nos fenêtres« . Impossible de ne pas traverser le quartier de Montmartre sans repenser à ses quelques vers issus de “La Bohème”, tube de 1965 à la force nostalgique toujours aussi intacte. Le Aznavour de La Bohème n’a déjà plus grand chose à prouver (« Hier encore » et « For Me Formidable » ont déjà fait leur petit effet) et dépeint au gré des rimes une vision romanesque de la vie d’artiste. Celle du Parisien miséreux qui vit au jour le jour, se contentant de peu et se nourrissant d’art, déclamant près d’un poêle en attendant la gloire. L’auteur n’a alors que 40 ans, mais il suffit pourtant d’une phrase pour que son spleen ravageur s’apparente à un chant du cygne : « Dans son nouveau décor / Montmartre semble triste / Et les lilas sont morts« .
Bar du Carlton
C’est au bar de l’Hôtel Carlton que Charles Aznavour rencontre François Truffaut en 1959, lors du festival de Cannes. Le porte-parole de la Nouvelle Vague lui offrira son meilleur rôle l’année qui suit : celui du timide pianiste Charlie dans le film noir Tirez sur le pianiste. Le film est principalement shooté à Levallois-Perret. Le Paname qui s’y esquisse est celui, fantasmagorique, des marlous et de Boby Lapointe. Celui qui chantait « viens voir les comédiens » aura évidemment à son palmarès d’autres films remarqués, tournant aussi bien pour Claude Lelouch que pour Claude Chabrol. Quant au Carlton Bar, l’endroit a su conserver son écrin feutré et raffiné : il est le passage obligé de ceux et celles qui s’affairent sur la Croisette.
Charles Aznavour et les bords de Seine
Le « Paris au mois de mai » que chantonne Charles Aznavour dans sa chanson éponyme est celui des bords de Seine. Amoureusement dépeint, il a des allures de carte postale à la patine sépia. C’est une capitale printanière qui, la nuit, révèle ses « millions de lumières« , une ville idéalisée avec « ses vieux toits à peine éveillés« , ses rues où l’on flâne, « avec ses bouquinistes et ses aquarellistes que le printemps a ramenés comme chaque année le long des quais« . Certaines balades du grand Charles tendent davantage vers l’évocation désabusée, de « J’ai vu Paris » – nous contant l’histoire émile-zolienne du « Paris la guerre, Paris misère, Paris la gronde, Paris la fronde, Paris courage, Paris en grève, Paris qui rêve » – au tout aussi mélancolique « Noël à Paris », ou Aznavour le romantique fredonne « C’est Noël chéri / Et nous voici réunis / Dans Paris tout gris / Tout maussade et tout contrit / Sans neige et sous la pluie ».
Charles Aznavour et la banlieue
L’un des plus beaux héritages de Charles Aznavour est l’indéniable influence de sa musique sur le rap français. Nombreux seront les natifs de banlieue parisienne à lui rendre hommage au détour d’une rime, de Passi à Oxmo Puccino en passant par Doc Gynéco. Aux Etats-Unis, Aznavour est même samplé par… Dr Dre ! L’artiste n’a jamais caché son intérêt pour ces poètes de l’argot moderne. Parmi ses élèves, on trouve le prodigue Kery James. Son duo dans l’émission Tenue de Soirée en compagnie du maestro, interprétant à l’unisson le morceau A l’ombre du showbiz, fait l’effet d’un passage de relais. Un adoubement qui nous fait comprendre que l’ombre d’Aznavour n’a pas fini de planer sur la culture hexagonale.