Depuis plusieurs années, les ruches urbaines se sont multipliées à Paris, au point de se demander s’il ne serait pas temps d’arrêter d’en installer, voire d’en retirer. La raison ? Une surpopulation d’abeilles menaçant les abeilles. Y a-t-il trop de ruches à Paris ? Une enquête qui laisse chaque camp s’exprimer.
Le développement des ruches urbaines à Paris
© Thomas Martin Lalande
Depuis une dizaine d’année, les ruches se développent de façon conséquente dans la capitale. La raison ? « Les apiculteurs se sont rendus compte que la ville était un environnement plus propice que la campagne, du fait de l’absence de pesticide depuis 2022 » raconte Anastasia Chambraud, l’une des associés de Happyculteur, proposant des ateliers pour découvrir l’apiculture urbaine. Autres avantages : quelques degrés de plus permettant aux abeilles de moins souffrir du froid et une plus grande variété de fleurs sur une période plus longue toute l’année. L’extinction annoncée des abeilles et les conséquences néfastes de leur disparition sur la biodiversité sont souvent mises en avant pour soutenir la tendance croissante de l’apiculture urbaine.
De plus en plus d’entreprises en installent sur les toits de leur immeuble ou des particuliers dans leur jardin. Une initiative bien accueillie dans un premier temps. Avec à l’arrivée, l’occasion de faire son propre miel et de l’offrir à ses salariés, mais aussi parfois de redorer un peu son blason et faire du greenwashing. Ce développement n’est cependant pas sans conséquence et cela s’observe dans les chiffres. Une récente étude (publiée en septembre 2019 chez PLOS) a été réalisée de 2014 à 2016. Elle cherchait à comprendre comment cohabitaient les pollinisateurs sauvages – regroupant 7 catégories, dont les abeilles sauvages et les bourdons – et les abeilles domestiques.
Trop d’abeilles et un bad buzz ?
© Carte des colonies d’abeilles à Paris, tirée de l’étude scientifique : Wild pollinator activity negatively related to honey bee colony densities in urban context / Ropars, Dajoz, Geslin
Y a t-il un trop de ruches à Paris ? C’est la question à laquelle l’étude souhaite répondre en avançant qu’il y a bien un impact négatif ou une compétition en ce qui concerne les ressources florales de la ville. Isabelle Dajoz, chercheuse en écologie à l’université Diderot et à la tête de l’étude, nous alarme : « En 2016, il y avait plus de 600 ruches intramuros, soit 6 ruches au km2. C’est trois fois plus que la moyenne nationale en milieu naturel ». Selon les données de la préfecture, en 2022, le nombre s’élève à plus de 2000 installations. « On a dépassé un seuil où il va y avoir des interférences négatives entre ces pollinisateurs sauvages et domestiques ». Quand on sait qu’une ruche peut contenir jusqu’à 60 000 abeilles, ça donne le vertige.
Mais concrètement de quoi parle t-on ? L’abeille domestique, c’est une seule espèce, à savoir « Apis mellifera », qui produit du miel et de la cire. « En France, il existe plus de 1000 espèces d’abeilles sauvages et elles jouent un rôle très important dans la pollinisation de la flore sauvage mais également des espèces cultivées. Très souvent elles sont même plus “efficaces“ et permettent aux plantes sauvages de mieux se reproduire et un meilleur rendement des plantes cultivées » poursuite Isabelle Dajoz. Résultat : rien qu’à elles seules, les abeilles domestiques mangent toutes les ressources florales de Paris. Un risque non négligeable amenant à terme à une chute de la diversité des pollinisateurs sauvages dans Paris et une mort prématurée des ruches urbaines.
Pour quelles solutions opter ?
© William Bibet
« L’abeille reste une espèce en voie de disparition, il n’y aura jamais trop d’abeilles. Seulement il faut qu’elles puissent toutes se nourrir à côté » affirme Anastasia Chambraud d’Happyculteur. Concernant la problématique, on observe donc qu’il y a deux sons de cloche. « Aujourd’hui, dire qu’il y a trop de ruches n’est pas exact mais il n’y a pas assez de fleurs pour nourrir tout le monde. D’autant plus que l’on sait que les abeilles sauvages et domestiques ne butinent pas les mêmes fleurs. » La solution passerait-elle par une végétalisation de Paris en plantes mellifères, riches en nectar et en pollen (menthe, romarin, lavande) ?
Pour Anastasia c’est un fait. « On a lancé une campagne de financement pour développer un beekit, un kit de fleurs mellifères bio prêtes à planter et pouvant nourrir 960 abeilles. Tout le monde peut jouer le jeu, mais il faut aussi planter dans les espaces verts et encourager les initiatives de végétalisation. ». Une solution un peu utopique pour Isabelle Dajoz : « C’est très bien de vouloir revégétaliser Paris, mais ça reste une grande ville. Il y aura toujours 60 à 70% de béton avec des fleurs partout. Avec plus de 20 ruches au km2, ça ne me semble pas raisonnable, même avec une densité de fleurs qui augmente. » Une chose est certaine : continuer d’installer des ruches serait contre productif. « Il faut renverser la tendance, en retirer serait dommage, car cela n’irait pas dans le sens de la végétalisation » conclut Anastasia. Au final, des petites actions au quotidien comme consommer bio et local et manger de saison peuvent aussi avoir un petit impact positif sur la problématique. Tout comme acheter du miel 100% européen.