L’une des personnalités à l’origine de l’introduction du haschich en France est un brillant esprit du XIXe siècle, un médecin aliéniste dénommé Moreau de Tours, Jacques-Joseph de son prénom. Dans les années 1830, ce médecin qui revient d’un voyage en Syrie où il a découvert le haschich décide, malgré les interdits, d’en rapporter à Paris afin de continuer à étudier les effets de la substance, persuadé de ses vertus thérapeutiques dans le traitement de certaines maladies mentales. Comme c’est un chic type, il décide d’en faire profiter son entourage et crée dès 1843, avec le peintre Boissard, un club pour les amateurs de cannabis à Paris : le célèbre Club des hachichins. À cette époque la bohème parisienne se réunit au sein de divers clubs, tous plus farfelus les uns que les autres, et c’est en l’hôtel Pimodan sur l’île Saint-Louis — chez Boissard — que les hachichins se retrouvent pour s’encanailler, enfin, pour « halluciner » puisque tel est le programme proposé par le peintre à ses invités.
Invitation de Boissard à Théophile Gautier, novembre 1845.
Autour du docteur Moreau et de ses petites confitures de cannabis faites maison (dawamesk), artistes et intellectuels viennent s’ensuquer lors de ces soirées baptisées fantasias. Parmi les habitués on compte Gautier, Dumas, Balzac, Flaubert, Nerval, Baudelaire, Delacroix ou encore Daumier, tous réunis en quête d’expériences intérieures et désireux d’explorer la psyché. Toutefois, ne vous méprenez pas ; pour Moreau de Tours ce club est avant tout un lieu d’expérimentation et d’observation de la folie artificielle. Et l’on peut dire que Moreau prend son travail très à cœur, si l’on en croit la description que fait Gautier du docteur lorsque ce dernier lui distribue sa toute première dose de cannabis : « La figure du docteur rayonnait d’enthousiasme ; ses yeux étincelaient, ses pommettes se pourpraient de rougeurs, les veines de ses tempes se dessinaient en saillie, ses narines dilatées aspiraient l’air avec force. »Ceci vous sera défalqué sur votre portion de paradis », me dit-il en me tendant la dose qui me revenait ». Mais le docteur Moreau n’était pas là pour badiner, il s’est d’ailleurs livré corps et âme à ses expérimentations. Dans Du haschisch, des rêves et de l’aliénation mentale qu’il publie en 1845, il affirme : « L’expérience personnelle est ici le critérium de la vérité. Je conteste à quiconque le droit de parler des effets du haschich, s’il ne parle en son nom propre, et s’il n’a été à même de les apprécier par un usage suffisamment répété ».
Cependant, fumer comporte de nombreux risques et nul n’est à l’abri de sombrer dans « les affres ». C’est ce que redoutait le sage Baudelaire qui, convaincu de la toxicité de la substance n’assistait aux fantasias qu’en tant que spectateur, et déclarait dans Les Paradis artificiels (1860) : « C’est la punition de la prodigalité impie avec laquelle vous avez dépensé le fluide nerveux. Vous avez disséminé votre personnalité aux quatre vents du ciel, et, maintenant, quelle peine n’éprouvez-vous pas à la rassembler et à la concentrer ? ». Et ce n’est pas Balzac qui dirait le contraire, lui-même qui écrivait à madame Hanska en sortant d’une de ces réunions : « J’ai entendu des voix célestes et j’ai vu des peintures divines. J’ai descendu pendant vingt ans l’escalier de Pimodan… Mais ce matin, depuis mon réveil, je dors toujours, et je suis sans volonté ». Vous voilà prévenus!
Illustration : Le club des Hachichins – Moreau de Tours (source BIU Santé)
→ Retrouvez le blog de Savoirs d’Histoire ici.