Quels mots suffisent à un touriste pour résumer Paris ? Tour Eiffel, café, Champs Elysées, “voulez-vous coucher avec moi ?” (éventuellement) et, bien sûr, jambon-beurre. Mais pourquoi cet inusable classique de la gastronomie parisienne l’est-il, “inusable” ? Gros plan.
Le jambon-beurre : « une spécialité française »
© petradr
On le déguste durant notre pause déj’, en attendant notre train ou en flânant dans les rues agitées de Paname. Simple, savoureux et léger, le jambon-beurre se tient bien en mains et ne laisse pas son contenu – basique et appétissant – s’enfuir de la solide baguette de pain qui en est la colonne vertébrale. A l’origine de ce casse-croûte que l’on baptise « le Parisien » se trouve le matriciel amuse-bouche du lord britannique John Montagu. « Le concept de « sandwich », à savoir l’idée de mettre des ingrédients froids entre deux morceaux de pain, vient d’Angleterre. Le Lord avait demandé un repas facile à manger pendant qu’il jouait aux cartes et on lui avait apporté de la viande froide entre deux tranches de pain » détaille en ce sens Mia Assor. Pour la jeune instigatrice du foodcast Culture Miam, exploration audio des tendances culinaires, « le concept du sandwich s’est étendu en Europe avec le temps, et chaque pays a forcément dû l’adapter à sa sauce, en fonction de ses spécificités culinaires« .
C’est au XIXe siècle que la variante « parisienne« se propage dans l’Hexagone. A l’origine, le jambon-beurre – plutôt constitué de lard et de pain de fin de mois – est le sandwich du peuple par excellence, celui qui contente les ventres des ouvriers et des paysans. L’ADN du Parisien ne fait pas dans la fioriture et tient sur un post-it : jambon blanc, beurre et baguette. « Ce sont ces trois ingrédients, typiques du pays, qui en font une spécialité française » décoche la podcasteuse. On ne déguste pas un jambon-beurre comme on le ferait d’un sub’ – lointain voisin américain – ou d’un burger bien saignant. Dans ce pain qui croustille, allégé par la douceur du beurre et le moelleux du jambon, transparaît le goût de la capitale, celui de ses brasseries, de sa charcuterie et de ses boulangeries. Parisien au possible.
« C’est un mets que l’on trouve partout à Paris, à tous les prix et… de toutes les qualités. Pendant mes études, j’en ai souvent mangé, dans des parcs, dans des amphis, dans le métro même ! » confirme la critique culinaire Delphine Le Feuvre. Pour cette épicurieuse (c’est aussi le nom de son très gourmand podcast), « le jambon-beurre rassemble tout ce que la gastronomie française fait de mieux au rayon simplicité : la baguette, le beurre et le jambon pour la charcuterie. C’est très cliché mais je crois que si je devais déménager à l’étranger un jour, ce sont ces ingrédients qui me manqueraient le plus, car personne ne les fait aussi bien que nous ». C’est d’ailleurs là tout l’enjeu de l’affaire : comment reconnaît-on un bon sandwich Parisien ?
La recette du bon Parisien
« Un bon Parisien doit conjuguer qualité des produits et harmonie des saveurs (pas de beurre salé si le jambon l’est déjà par exemple), respecter l’héritage culturel de simplicité et d’abordabilité qui est le sien » théorise d’emblée l’instigatrice de Culture Miam. En un mot, la composition d’un bon jambon-beurre se résume dans son intitulé. Tout au plus, on se permettra une légère transgression en ajoutant du cornichon. Ces ingrédients doivent être artisanaux sous peine de voir le Parisien sombrer dans l’enfer de la malbouffe. « Un jambon-beurre de mauvaise qualité, c’est du pain surgelé ou du pain industriel bourré d’additifs, du jambon blanc rempli de nitrites, du beurre fait avec du lait provenant de 15 pays » poursuit l’itinérante podcasteuse. Attention à l’overdose trop grasse de beurre, à la viande fade et au pain trop mou : la simplicité du sandwich est avant tout synonyme de qualité.
Mais à l’heure de Top Chef, n’est-il pas trop tentant de « pimper » ce cador chauvin de la street food ? Les deux siècles d’Histoire que concentre le jambon-beurre ne méritent-t-ils pas quelques revisites audacieuses ? Une fausse bonne idée, à en croire Delphine Le Feuvre. « A mon avis, il est difficile de le revisiter tant les ingrédients sont archi-basiques. Si l’on y ajoute des crudités, il devient une « baguette crudités ». La seule solution pour le pimper serait de troquer le jambon blanc contre un jambon truffé, le beurre doux (sacrilège !) ou demi-sel contre un beurre aromatisé… et troquer la baguette pour un autre pain. Mais dans ce cas, on sort aussi du jambon-beurre classique« . Un jambon-beurre trop subversif ou hautain n’a plus rien d’un jambon-beurre. « Ajouter de la truffe noire ou de l’avocat pour la jouer californienne, ça ne s’appelle plus un jambon-beurre » ajoute la voix de l’épicurieuse. Respectons les classiques.
« Le jambon-beurre reviendra à la mode »
© Gardie Design & Social Media Marketing on Unsplash
Mais les classiques ne demandent qu’à être renversés. Aujourd’hui, force est de constater que le sandwich affronte de nombreux rivaux dans le domaine du snacking mangé sur le pouce. « Le burger a dépassé le jambon-beurre et la France est la deuxième mangeuse de Kebab dans le monde » note à ce titre Mia Assor. Il faut dire qu’autrefois gueuleton des classes populaires, le jambon-beurre a vu au fil des années son prix augmenter dans la capitale, au risque d’accentuer cette lutte entre le Parisien et le « Grec ». Si pour Mia Assor « le jambon-beurre doit être simple et pas cher », cette seconde caractéristique n’est pas toujours respectée en fonction des boulanges, où son prix dépasse aisément les trois euros.
« Le jambon-beurre est monté en gamme : on en trouve à huit euros chez Lazare, la brasserie du chef triplement étoilé Eric Fréchon installée dans la gare Saint-Lazare. Ce n’est pas accessible à tous, surtout quand on sait que c’est le prix d’un menu au Burger King à l’étage au-dessus » observe d’ailleurs Delphine Le Feuvre. Embourgeoisé, le Parisien ? Vidéaste-cuistot (on lui doit l’excellente chaîne YouTube Hangover Cuisine), Guilhem Malissen tient à nuancer cette réalité : le jambon-beurre pour gourmets n’est pas une généralité. « C’est une tendance du moment de se cacher derrière de bons produits pour surfacturer mais on trouve toujours de bons jambon-beurre pas chers si l’on cherche bien ! » décoche-t-il.
Qu’on ne déclare pas sa mort trop vite. Pour le gastronome, par ailleurs animateur du podcast Bouffons, s’il s’est certainement fait supplanté par le plus fantaisiste et coloré « poulet-crudités » ou par l’hégémonie de la restauration rapide, le jambon-beurre est cependant loin d’avoir cassé sa dernière croûte, qu’on se le dise. « C’est une histoire de cycles. Le jambon-beurre reviendra à la mode. Il est toujours un peu là d’ailleurs, jamais vraiment parti » observe-t-il. Et pour cause : dans Paris même, nombreuses sont les enseignes à lui faire honneur, des baguettes croustillantes de Chez Aline aux grands classiques forts en jambon du Petit Vendôme. A l’instar du pain de campagne, le Parisien perdure. Et bon appétit bien sûr !